librairie chrétienne Excelsis
librairie chrétienne Excelsis

Excelsis » Blog » Entretien avec Michaël Girardin – Les méchants du Nouveau Testament

Entretien avec Michaël Girardin – Les méchants du Nouveau Testament

Virginie Lutete
  • Virginie Lutete
  • 31 Janvier 2024
facebook
x

1. Pouvez-vous vous présenter ?

    Je suis Michaël Girardin, maître de conférences en histoire ancienne à l’Université du Littoral-Côte d’Opale. Je travaille sur l’histoire de la Judée au tournant de notre ère.

    2. Pourquoi pensez-vous qu’être historien permet de comprendre différemment ces méchants qu’on aime détester ?

      Les personnages importants du passé ont laissé des traces de leur vie que les historiens sont formés à étudier. Certains de ces personnages ont laissé leur empreinte dans la mémoire collective et notamment ces « méchants » du Nouveau Testament ; mais ils étaient des acteurs historiques, des hommes, avant d’être des noms dans les évangiles. Les historiens savent lire les documents de cette époque, remettre les évangiles en perspective et surtout, retrouver l’humain derrière les textes. Les historiens ont pour principe de chercher à comprendre, non à juger. Cette recherche de la compréhension est importante pour ne pas répéter sans cesse les mêmes jugements de valeur, mais aller plus loin dans la lecture des évangiles.

      3. Qu’elle est votre définition d’un « méchant » ?

        J’ai volontairement choisi un mot enfantin ! Je n’ai pas de définition. J’ai traité derrière ce mot tous ceux à qui l’on attribue le « mauvais rôle » dans le récit des évangiles. Ce sont ceux que l’on refuse d’écouter, ceux que l’on rencontre sans bienveillance, parce qu’on est prédisposé à les accuser. Ceux dont le lecteur des évangiles se dit qu’ils ne sont pas dans le même « camp » que lui.

        4. En quoi sont-ils quelque part le reflet de nous-mêmes ?

          En tant qu’historien, j’ai l’impression que les hommes ont beau changer d’apparence, ils restent les mêmes à travers les siècles. On retrouve partout les mêmes formes de courage, d’abnégation, d’intelligence, mais aussi les mêmes lâchetés, les mêmes égoïsmes et les mêmes erreurs. Examiner la trace que ces gens ont laissée dans l’histoire revient à comprendre un peu ce que nous sommes. Cela revient aussi à s’interroger sur la trace que nous laisserons et sur la manière dont elle sera interprétée. Ces gens qui ont agi selon leur conscience sont aujourd’hui rejetés du côté du « mal », avec peu de gens pour les voir comme des êtres humains : et nous, qui jugeons, comment serons-nous jugés ? Enfin, le lecteur convaincu que le péché est une réalité universelle ajoutera à ce sentiment une dimension supplémentaire, selon laquelle ces hommes nous ressemblent plus que l’on croit, qu’ils sont de la même nature que nous ; que ce que les évangiles disent de ces individus peut avoir du sens pour le croyant d’aujourd’hui.

          5. Pouvons-nous nous fier aux sources historiques dont nous disposons ?

            Cela dépend ! La première règle d’un historien, c’est de s’interroger sur la source. Que sait-on de l’auteur ? Est-il contemporain ou non ? Pourquoi écrivait-il, quel était son projet ? De manière générale, que sait-on de son point de vue, de ses qualités et de ses défauts ? Les auteurs n’ont pas tous la même valeur. Le problème pour l’Antiquité, c’est que nous cherchons des faits avec des œuvres de poètes, de dramaturges, de philosophes, de propagandistes, et finalement assez peu d’historiens. Flavius Josèphe est un bon exemple : chef rebelle vaincu par les Romains, il a changé de camp pour sauver sa peau et il a écrit l’histoire des relations judéo-romaines en justifiant à la fois sa participation à la guerre et la victoire romaine. Quand on comprend ce projet, on n’accepte qu’avec prudence les informations qu’il nous donne, surtout quand elles entrent en contradiction avec une autre source, qu’il faut alors questionner aussi. Un auteur n’est jamais neutre ni désintéressé.

            Pour ce qui concerne les sources matérielles (traces archéologiques, monnaies, inscriptions, etc.), elles nécessitent une interprétation. Or, l’interprétation d’un historien est souvent remise en cause par un autre historien. Là encore, c’est donc avec prudence qu’il faut lire les théories des spécialistes. Le mot histoire, en grec, signifie « enquête ». Si l’on cherche des faits simples, alors on ne peut pas se fier aux sources. Mais elles sont le fondement de toutes les réflexions historiques. Elles révèlent beaucoup plus que des faits : des êtres humains, des idées, des mémoires, des mensonges, etc.

            6. Les disciples sont-ils aussi des méchants ?

              Après tout pourquoi pas ? Le lecteur du Nouveau Testament les imagine toujours comme les héros qu’ils sont dans le livre des Actes des Apôtres, mais les évangiles les montrent sous un jour différent. Ils ne comprennent jamais ce que dit leur maître, ils se querellent pour être chacun le premier, ils veulent user de l’épée pour défendre Jésus, puis au bout du compte ils l’abandonnent lâchement. Il n’y a ni « bons » ni « méchants », dans les évangiles, mais seulement des hommes de bonne volonté mais très faibles, devant leur Dieu.

              7. Sans chercher à les excuser, vous montrez que ceux qu’on considère comme méchants agissent en pensant faire le bien. Est-ce qu’un méchant l’est pour ses propres intérêts ou aussi pour les intérêts d’autres (exemples d’Anne et Caïphe) ?

                Tout est une question de point de vue, et c’est bien pour cela que l’on a besoin de mener cette « enquête ». Pour beaucoup de leurs contemporains, Anne, Caïphe, Pilate, Judas, en crucifiant Jésus, ont fait ce qu’il fallait. Ils ne sont « méchants » que pour un monde christianisé. Si l’on voit Jésus comme un problème, il faut le faire disparaître ; s’il était le messie, l’avoir mis à mort était le crime le plus terrible. On peut donc faire des choses mauvaises et s’assurer une mémoire exécrable pendant deux mille ans, en ayant simplement cherché à faire le bien. En l’occurrence, il me semble que ces hommes ont pris en compte l’intérêt de tout le peuple juif et pas seulement le leur. Dans le livre, j’invite les lecteurs à comprendre ce qu’ils pouvaient voir et que nous avons oublié, nous qui ignorons tout ce qui était en jeu. Je propose également de réfléchir aux alternatives. J’espère que beaucoup comprendront qu’à leur place, nous aurions fait comme eux. Cela pose un terrible malaise, n’est-ce pas ? Nous dégringolons, du rôle de juges, à celui d’êtres humains, semblables aux « méchants » que nous aimons pointer du doigt. Ma conclusion s’intitule donc : les méchants du Nouveau Testament, c’est vous, c’est moi. Si je n’ai pas tenu le clou qui a transpercé Jésus, ce n’est pas que je sois meilleur que ses bourreaux, c’est seulement que je n’étais pas présent ce jour-là.

                8. En suivant le fil conducteur des Évangile, pouvons-nous dire que Dieu emploie les méchants pour accomplir son plan ? Comment ?

                  C’est en tout cas la narration des évangiles : Jésus dirige lui-même son procès et les hommes s’agitent vainement autour de lui. C’est assez courant dans la Bible. Pensons au pharaon de l’Exode : il a volontairement empêché les Israélites de partir, mais à partir d’un moment, ce n’est plus lui qui « endurcit son cœur », c’est Dieu qui l’endurcit (Exode 9.12). Le principe est le même ici : selon ce récit, ces hommes souhaitent ce qui arrive, mais ils ne sont pas capables d’atteindre leur but si Dieu ne leur en donne pas les moyens. Dans le livre, je m’attache aussi à relever les obstacles sur le chemin de la croix. Selon la narration des évangiles, elle n’était pas du tout inévitable ! Mais il y a toujours eu un « coup de pouce » pour en faire une réalité.

                  9. Qui est vraiment responsable de la mort de Jésus ?

                    Dieu. Ou bien chaque être humain. Les évangélistes ne se donnent pas la peine de désigner les coupables, au contraire : il y a une insistance sur l’universalité du péché, des faiblesses des hommes et de la nécessité de la croix pour résoudre ce problème. Jésus affirme, selon Jean (10.18), que personne n’a le pouvoir de lui prendre la vie mais qu’il la donne de lui-même. Plusieurs versets soutiennent que tout homme est pécheur et incapable de faire le bien par lui-même, ou encore que si Jésus est mort, c’est à cause des pécheurs, dont Paul écrit qu’il est « le premier » (1 Timothée 1.15). Selon ce fil conducteur, tous sont responsables et Dieu seul avait la capacité de réussir.

                    10. Qu’avez-vous cherché à montrer au lecteur à travers Les méchants du Nouveau Testament ?

                      Que les hommes ne sont pas « bons » ou « mauvais », mais qu’ils jouent les deux rôles à la fois. Le jugement de valeur est facile, comprendre est un exercice bien plus exigeant. Les travaux historiques récents permettent de penser ces êtres humains avec un peu plus de « chair ». Je suis pleinement convaincu que les acteurs historiques que l’on rejette du côté des « autres », « eux » opposé à « nous », le « mal » contre le « bien », nous ressemblent plus qu’on ne voudrait le croire. Je pense qu’ils nous révèlent en partie ce que nous sommes. Nous ne sommes pas parfaits et ils n’étaient pas affreux. L’histoire n’est pas un récit, mais une démonstration de la complexité de l’être humain. Je crois que ce principe peut faire un sens particulier pour les lecteurs croyants des évangiles.

                      11. Avez-vous deux ou trois livres à partager avec nos lecteurs ?

                        Je suggérerais deux livres universitaires à la fois importants dans ma démarche et accessibles.

                        Le premier, un classique, est une étude historique du personnage de Ponce Pilate : Jean-Pierre Lémonon, Pilate et le gouvernement de la Judée. Textes et monuments, Paris, Éd. J. Gabalda, 1981.

                        Le second, une enquête sur Hérode : Christian-Georges Schwentzel, Hérode le Grand. Juifs et Romains, Salomé et Jean-Baptiste, Titus et Bérénice, Paris, Pygmalion, 2011.

                        Ils montrent comment les historiens travaillent sur ces personnages à la mémoire sulfureuse, afin d’en dresser un portrait honnête.

                        Ce site utilise uniquement les témoins (cookies) nécessaires.
                        i J’ai compris
                        délais de livraison

                        Chez vous en 48h
                        pour la France métropolitaine,
                        1 semaine pour l’international*

                        En savoir +

                        frais de livraison

                        0,01 € de frais de port
                        à partir de 40 € de commande*
                        Livraison possible en point relais

                        En savoir +

                        visa, mastercard, paylib

                        Paiement sécurisé
                        Carte, chèque, virement
                        PayLib

                        En savoir +

                        aide, faq, contact

                        Besoin d’aide ?
                        04 75 91 81 81
                        contact@XL6.com

                        En savoir +