Voici une contribution à ces fabriques de l’identité dont le XIXe siècle a été si prodigue. Les protestants français, sortis très affaiblis des siècles de persécution (ils ne représentent plus que 2 % de la population), mais toujours là, peuvent puiser dans leur histoire des titres de durée, de légitimité, d’enseignement et de « gloire ».

Ils deviennent, à l’aide de leurs pasteurs-historiens, des spécialistes de la commémoration et de la fabrication de lieux de mémoire, de « classiques » littéraires, de musées, ou encore de héros et d’héroïnes : c’est le grand retour des huguenots. Ce faisant, l’identité de la minorité se transforme : elle n’est plus seulement religieuse, comme c’était le cas depuis trois siècles ; elle devient historique, mémorielle, culturelle.

Cette « huguenotisation » des protestants, au cœur d’une société en travail de sécularisation, offre un extraordinaire exemple de « communauté imaginée », contemporaine de l’essor des nationalités.

Patrick Cabanel est directeur d’études à l’École pratique des hautes études. Il a publié notamment Histoire des protestants en France XVIe-XXIe siècle (Fayard,2012) et Le protestantisme français. La belle histoire, XVIe-XXIe siècle (Alcide, 2017). Il est l’auteur, chez Labor et Fides, de la biographie de Ferdinand Buisson, père de l’école laïque (2016).